
M. Sammy d’elsan Bialu Kalambayi, Chercheur au Centre de Recherche Chaire de dynamique sociale/UNIKIN partage sa réflexion sur l’actualité ayant trait à la circulaire du secrétaire général du Ministère de l’Éducation Nationale autorisant aux élèves enceintes de poursuivre leur scolarité.

Dans sa tribune ci-dessous, M. Sammy d’elsan Bialu Kalambayi aborde les aspects majeurs de cette problématique tout énumérant les points positifs et négatifs sans oublier un volet dédié aux suggestions.
[ Tribune de Sammy d’elsan Bialu Kalambayi ]

La problématique de maintien des élèves enceintes dans le système éducatif congolais reste une question cruciale qui a été abordée par multiples spécialistes en droit de l’enfant. Le professeur Jean Marie MBUTAMUNTU, dans son ouvrage intitulé : « Les traités de protection des droits de l’enfant dans les Grands Lacs : exigences universelles et réalités locales », soutient que chaque décision des autorités en rapport avec la situation des enfants doit, même si elle peut être délicate, être motivée par l’intérêt supérieur de l’enfant et être conforme aux normes internationales.
En effet, l’intérêt supérieur de l’enfant demeure autant que les principes de participation et de non-discrimination les fondamentaux de la protection de l’enfant.
La situation de l’enfant en Afrique en général et en République Démocratique du Congo en particulier est confrontée à des défis multiples que le gouvernement à l’obligation de résoudre pour l’émergence de l’enfant, gage de l’avenir.
C’est ici le lieu d’interroger et de s’interroger sur l’opportunité de cette mesure et sur sa prégnance sur l’avenir des enfants. Dans ce contexte, les différentes mesures prisent en faveur des enfants doivent avoir un caractère holistique et prometteuse des valeurs qui aident l’enfant à se construire.
La récente mesure charrie des réactions ambivalentes

Face à la méfiance ambiante autour de ce sujet, je préfère ne pas simplifier à outrance cette problématique complexe des grossesses chez les mineures dans les établissements scolaires. À notre avis, la décision du secrétariat général de l’éducation nationale de permettre aux filles enceintes de poursuivre leur scolarité est à la fois préjudiciable et bénéfique.
a. Impact négatif
Cette mesure pourrait donner un exemple négatif aux adolescents qui pourraient considérer normal de tomber enceinte avant d’atteindre la majorité, en contradiction avec la loi de 2009 sur la protection de l’enfant. Les efforts du législateur risquent alors d’être vains. De plus, la grossesse dans le milieu scolaire en RDC est un phénomène complexe qui demande une approche globale et pluridisciplinaire. En soutenant les activités extrascolaires et en mettant en place un programme efficace contre la discrimination, on peut atténuer les effets de ce phénomène et assurer un avenir meilleur aux jeunes filles.
Il convient aussi de réfléchir sur les conséquences pénales d’une telle décision sur les victimes mineures. Dans un environnement où la connaissance de la loi est la chose la moins partagée, cette mesure risque d’être perçue par certains esprits retors comme une prime au viol.
L’idée de sensibiliser les acteurs clés de l’éducation (familles, enseignants, décideurs politiques) à s’investir dans le renforcement des cadres juridiques nationaux relatifs à la protection de l’enfance pourrait provoquer un changement de mentalité afin de repositionner l’importance de l’enfant dans la société. La remise en question du modèle valorisant la jeunesse féminine, l’amélioration de ses droits socio-économiques et son bien-être psychologique devraient, sans aucun doute, aider à réduire significativement ce phénomène récurrent.
D’autre part, le manque d’échanges éducatifs sur la sexualité entre enseignants et élèves, ainsi qu’entre parents et enfants, conjugué à l’influence néfaste d’internet sur les plus jeunes, cause une érosion éducative ; aussi, les pressions des pairs, l’engouement pour la modernité, l’attraction physique, l’usage des applications mobiles et le souci d’apparence (vêtements, etc.) font partie de ce mouvement social qui conduit à des grossesses précoces et à d’autres abandons scolaires. Ce phénomène engendre des conséquences sanitaires graves et contribue à l’augmentation des taux de mortalité maternelle et infantile.
L’augmentation des grossesses scolaires impacte négativement les investissements des familles et entrave les projets du gouvernement visant à promouvoir l’entrepreneuriat chez les jeunes. Et constitue un mauvais signal à la moralisation de la société. Cependant, cette mesure trouve aussi de défenseur qui la salue comme une avancée dans la protection de droit de l’enfant.
b. Point positif ou avantage de la nouvelle décision
Cette circulaire du Secrétaire général à l’Éducation nationale, qui permet aux élèves enceintes de rester à l’école, est également bénéfique. Elle protège l’enfant, quelle que soit la situation défavorable et favorise l’avenir de l’enfant qui n’ait pas hypothéqué par un accident de parcours. De surcroît, la grossesse n’est pas une maladie mais un état, l’élève enceinte doit être protégée dans le cadre scolaire, car devenir mère ne libère pas l’enfant de sa condition de mineure, qui a droit à une protection sociale.
La grossesse précoce chez les adolescentes conduit souvent à une exclusion scolaire et à l’éloignement du domicile familial, ce qui entraîne l’abandon scolaire des jeunes filles concernées, la cessation de leurs études et une précarité pour la mère et son enfant. L’absence d’un programme national structuré pour lutter contre ce problème au sein des établissements scolaires en est la cause principale.
Il est donc nécessaire que les écoles soient dotées de cellule d’accompagnement psychologique et que l’Etat organise des structures de soutien pour ses élèves infortunés. A titre illustratif, nous préconisons :
- l’instauration d’un programme national de lutte contre la circulation des stimulants sexuels en milieu scolaire,
- Une permanence de dialogue entre filles et garçons ;
- Les renforcements du cours d’éducation à la vie pour les mineurs garçons et filles dont les programmes devront être uniformisés au niveau national avec un accent particulier sur les risques de grossesses et le moyen de les éviter. Il est aussi essentiel de réajuster certains éléments. Le suivi de la mère après la grossesse est inexistant, alors que cela est crucial pendant plusieurs mois pour assurer le bon bien-être du bébé. Un autre problème est le manque d’accompagnement pour les garçons qui se trouvent également perturbés par cette situation, et les parents des jeunes mères ont aussi besoin d’un soutien psychologique.
- Réhabiliter la communication entre parents et leurs filles et garçons élèves autour de la sexualité responsable;
- Associer les communautés religieuses et la Corporation du corps médical dans la compagne de prévention des grossesses précoces en milieu scolaire.

En définitive, cette circulaire aurait dû faire l’objet d’une vulgarisation, d’une pédagogie afin d’expliquer les tenant et les aboutissants de cette mesure et ses impacts sociaux. Faute de l’avoir fait, nous craignions qu’il ne puisse produire les résultats contraires aux effets escomptés.
