Par la rédaction
Le Pape Benoît XVI est mort ce samedi à l’âge de 95 ans, de son vrai nom Joseph tzinger, élu pape en 2005, avait été le premier de l’histoire moderne à quitter volontairement sa charge, en 2013.
Paradoxal Benoît XVI. Elu comme pape de transition en 2005, Joseph Ratzinger, qui vient de mourir, samedi 31 décembre, à l’âge de 95 ans, restera dans l’histoire de la papauté comme l’un des pontifes les plus audacieux de l’époque contemporaine. La « renonciation » de cet homme solitaire et secret, annoncée en latin le 11 février 2013, avait sidéré l’Eglise et le monde. A juste titre. « Je suis convaincu que mes forces, étant donné mon âge avancé, ne me permettent plus d’exercer correctement mon ministère », avait-il lancé devant un aréopage de cardinaux pris au dépourvu.
Premier pape de l’histoire moderne à quitter volontairement sa charge, Benoît XVI venait, implicitement, de léguer là l’une des réformes les plus spectaculaires de son pontificat, long de huit années. Avec ce geste, il transformait la papauté en une fonction presque comme une autre, dont on s’acquitte ou que l’on quitte. Déconcertés, certains fidèles avaient qualifié de « deuil blanc » le départ sans cérémonie de Benoît XVI.
« Caché du reste du monde »
De manière totalement inédite, le « pape émérite », titre inventé pour l’occasion, a donc cohabité avec son successeur, François, pendant plusieurs années. Mais, comme il l’avait annoncé lors de son départ, Benoît XVI a, à de rares exceptions près, vécu « caché du reste du monde », à deux pas de la résidence du pape en exercice, dans les jardins du Vatican. Fidèle à la promesse formulée au seuil du conclave réuni en mars 2013 pour élire le nouveau pape, le premier pontife allemand de l’Histoire a fait « preuve de révérence et d’obéissance inconditionnelle » à l’égard de son successeur. Dans une lettre, adressée début 2014 à son ancien camarade, le théologien libéral Hans Küng, Benoît XVI réaffirmait que son « ultime travail est de prier pour le pontificat de François ». A cette activité se sont ajoutés la lecture, les échanges épistolaires et la pratique du piano.
Durant cette période, le retraité volontaire n’est revenu sur le devant de la scène qu’à de rares occasions. En juillet 2013, le Vatican publie une encyclique signée de la main de François, Lumen Fidei (« la lumière de la foi »). On retrouve cependant la patte de Benoît XVI dans ce texte qu’il avait en grande partie rédigé au cours des derniers mois de son pontificat. Ce vrai-faux « quatre mains », qui redit avec solennité ce que doit être la foi chrétienne et ce qu’elle ne doit pas être, est une première pour un texte papal ; il donnera l’occasion au pape François, que l’on dit alors « en rupture » avec son prédécesseur, tout au moins sur le style, de s’inscrire dans la ligne théologique de Benoît XVI.
Une cohabitation inédite
Des photos volées montrent encore Benoît XVI se promenant à l’aide d’un déambulateur, soutane blanche et casquette de la même couleur, dans les jardins de sa résidence vaticane. En avril 2014, le pape émérite, physiquement diminué, apparaît une nouvelle fois dans la vie officielle de l’Eglise, lors de la canonisation des papes Jean XXIII et Jean Paul II. Cette « journée des quatre papes » soulignait une fois encore la volonté de François d’afficher la continuité de la papauté, en dépit des styles très différents des papes de ces cinquante dernières années.
Tout au long de cette cohabitation, non exemptes de tensions ponctuelles, le Vatican a mis régulièrement en avant les bonnes relations qu’entretenaient les deux hommes, contraints d’inventer un modèle sans précédent. Lors d’une journée d’hommage aux personnes âgées célébrée par le pape François, ce dernier y associe son prédécesseur et se réjouit alors d’avoir avec Benoît XVI « comme un sage grand-père à la maison ». Ces marques réitérées de respect et d’apparente complicité ne parviennent cependant pas à occulter la véritable rupture que le passage inattendu d’un pontificat à l’autre a produite sur l’Eglise catholique et sur sa perception à travers le monde.
Quelques entorses du pape émérite au silence promis à son successeur vont d’ailleurs illustrer leurs désaccords de fond. Des textes signés de sa main ou certaines de ses positions, mises en avant par les milieux les plus conservateurs de l’Eglise, sèment le trouble à plusieurs reprises. Ainsi en avril 2019, Benoît XVI prend la plume pour attribuer au relativisme de la société post-68 le drame de la pédophilie dans l’Eglise catholique. Cette analyse contredite par la prégnance de ce fléau dans les décennies précédentes signe un retour en arrière par rapport aux tentatives de transparence de l’institution, – auxquelles Joseph Ratzinger n’est pourtant pas étranger -, pour affronter ce problème. Plus récemment encore, alors qu’à la demande du pape François un synode débat de la possible ordination d’hommes mariés, un texte du pape émérite, qui défend sans concession le célibat des prêtres, est mis en avant dans un ouvrage du cardinal guinéen Robert Sarah, tenant d’une ligne conservatrice. L’intention est claire: opposer à tout prix les deux papes et leur conception de l’Eglise.
Entre coups de menton et laissez-faire
C’est peu dire que les années Benoît XVI portent l’empreinte de sa personnalité et de sa vision du monde, volontiers sombres. Une période « crépusculaire » aux dires de certains vaticanistes, que le dynamisme et la jovialité de François ont encore soulignée. Intimement marqué par l’histoire tourmentée de l’Europe du XXe siècle, profondément troublé par le « relativisme » qui imprègne, selon lui, les sociétés modernes, le pape allemand aura gouverné l’Eglise entre effacement et renoncement, entre coups de menton et laisser-faire, entre maladresses et rigueur intellectuelle. Son règne a déstabilisé le monde catholique, abîmé l’image de l’Eglise catholique à l’extérieur, laissé en friche nombre de chantiers, et en a ouvert d’autres, demeurés inachevés.
Il faut dire que ce très proche collaborateur de Jean Paul II avait accepté la charge à reculons. Elu pape à 78 ans, le cardinal Ratzinger avait reçu l’annonce de son élection sans grand enthousiasme. « Je pensais que l’œuvre de ma vie était terminée et que des années plus tranquilles m’attendaient », confie-t-il quelques jours après son intronisation. « Quand, lentement, le déroulement du scrutin m’a fait comprendre que la guillotine s’approchait, j’ai demandé au Seigneur de m’épargner ce sort mais, cette fois, évidemment, il ne m’a pas écouté », commente alors le nouveau pape.
Rien ne prédestinait ce théologien solitaire, si peu pasteur, si peu mondain, à succéder au « curé du monde » polonais, Jean Paul II. Joseph Ratzinger a vu le jour le 16 avril 1927, à Marktl-am-Inn, en Bavière. C’est dans cette partie de l’Allemagne, davantage ancrée dans le catholicisme autrichien que dans le protestantisme prussien, que le futur pape a grandi. Cadet de trois enfants, Joseph Aloïs est élevé avec son frère Georg et sa sœur Maria dans une famille traditionnelle et modeste, nourrie de culture autrichienne et française.
Le jeune Joseph, passionné de musique et particulièrement de Mozart et de Bach, s’initie au piano. Les deux frères rejoignent à quelques années d’intervalle le petit séminaire. Dès cette époque, le plus jeune, studieux et passionné par les livres, traduit des textes liturgiques. Il ne cessera d’écrire, devenant l’un des pontifes les plus prolifiques de l’Histoire. Devenu pape, il ne renoncera pas à publier une trilogie sur Jésus, œuvre théologique et personnelle qui lui tenait particulièrement à cœur.
Marqué par la Shoah
A 14 ans, Joseph, comme tous les adolescents allemands, est enrôlé dans les Jeunesses hitlériennes. En 1943, il est affecté à la défense antiaérienne à Munich. Arrêté par les Américains en 1945, il est rapidement libéré et retrouve le foyer familial. Partie prenante de cette génération d’Allemands irrémédiablement marqués par la culpabilité du régime nazi et par la Shoah, le cardinal Ratzinger qualifiera le nazisme de « domination du mensonge » et de « régime de la peur », en 2004, à Caen, lors des célébrations du 60e anniversaire du débarquement allié. Au niveau spirituel, le jeune Joseph acquiert très tôt la conviction que « l’absence de Dieu » conduit à l’anéantissement de l’homme.